Article du journal LE TEMPS du 19 avril 2024
Si les enjeux environnementaux s’avèrent décisifs dans la branche du bâtiment, ils le sont tout autant dans l’activité paysagère. Vecteurs d’écologie au sens large, nos jardins méritent une attention particulière.
Discussion avec Stéphane Krebs, maître paysagiste engagé.
Lieux de convivialité et de détente, les jardins constituent des espaces naturels à mieux connaître. Des endroits précieux qui, en étant agencés de la bonne manière, représentent des leviers écologiques non négligeables. Outre sa dimension environnementale, le jardin durable est aussi et surtout générateur de bien-être. Pour en savoir davantage, le maître paysagiste Stéphane Krebs, directeur de l’entreprise familiale Krebs Paysagistes à Blonay, partage son savoir-faire.
Outre les aspects environnementaux, sociaux et économiques liés au développement durable de manière générale, la durabilité d’un jardin est aussi une question de gouvernance paysagère. Celle-ci s’avère d’ailleurs transversale à tous les styles. Japonais, français, agencé de manière précise ou plus libre, un jardin peut être durable dans toutes ses déclinaisons.
Quels que soient sa configuration ou son style, la durabilité d’un jardin se joue en fait sur la manière dont il bénéficie à la faune et à la flore environnantes, dans l’utilisation de ses atouts naturels et dans la limitation du recours aux engrais et autres produits de synthèse.
Finalement, la réussite du jardin durable repose sur quatre axes clés, à savoir la prise en compte de l’impact météorologique, le choix judicieux des plantes, le respect du sol – en évitant notamment de le tasser ou de travailler les terres mouillées afin de favoriser les organismes qui s’y développent – et la valorisation des ressources, tout particulièrement l’eau.
Le principe de base consiste à créer des niches écologiques. Tas de branches, nichoirs disposés sur des arbres fruitiers, biotopes, murs en pierre sèche, hôtel à insectes, haies vives ou encore prairies fleuries en sont autant d’exemples. Il s’agit de faire de son jardin un espace écologique favorisant l’épanouissement de la faune et de la flore locale.
Il faut veiller à ne pas évacuer les produits de l’entretien du jardin, tels que rameaux, pives, feuilles mortes, résidus de tonte, etc. Par exemple, suite à la taille des arbres, on peut profiter de conserver les branches pour les disposer en clôture naturelle, voire de créer des tas bien arrangés. En se décomposant lentement, ces éléments, qui constituent par ailleurs l’habitat de champignons, vont héberger une large faune comme les insectes utiles. Lors de la tonte du gazon, plutôt que d’évacuer la coupe directement au composte, on peut utiliser des tondeuses à gazon avec fonction mulching qui laissent simplement l’herbe, finement broyée, sur place. Un bon procédé, qui permet notamment de diminuer les besoins en engrais et d’éviter les transports fastidieux à la déchèterie. De manière générale, l’idée consiste à valoriser un maximum de matériaux sur place.
Les gens sont en effet plus attentifs qu’auparavant à ces aspects, notamment depuis le covid, où une certaine prise de conscience s’est observée quant à l’importance de préserver les espaces naturels. C’est également une responsabilité en tant que paysagiste. Notre rôle consiste aussi à informer nos clients sur ces possibilités et leurs bienfaits écologiques. J’observe d’ailleurs que, si l’on prend la peine de stimuler leur curiosité en la matière, ils se montrent très souvent enclins à aller dans cette direction.
La fraîcheur résulte de deux facteurs principaux : l’ombre et l’humidité. Il faut donc planter de grands arbres. Ils projetteront de l’ombre tout en restituant l’humidité du sol qui s’évapore par les feuilles suite à la photosynthèse. Il en va de même en milieu urbain, où le fait de planter des arbres va permettre d’ombrager les surfaces bétonnées ou goudronnées qui emmagasinent la chaleur le jour et la restituent durant la nuit. Le défi en ville étant de pouvoir bénéficier d’un sol végétal suffisamment profond et organique pour permettre aux racines de se développer et au sol de jouer son rôle de réservoir tampon.
On peut déjà récolter et stocker l’eau de pluie en dérivant un chéneau vers un tonneau ou, mieux, une citerne. Ce qui permet d’utiliser ce liquide plus tard pour l’arrosage.
Choisir des essences sobres en eau, pailler le sol et infiltrer les eaux de pluie dans le sol revêtent une grande importance pour économiser cette ressource. Créer un étang s’avère également intéressant, notamment pour stocker l’eau, mais aussi pour favoriser la biodiversité. Plus globalement, un étang joue de nombreux rôles dans l’environnement, par exemple en captant les émissions de carbone, en filtrant l’eau et en dégradant les pesticides.
Oui. Déjà parce que, durant ces dernières décennies, les techniques ont grandement évolué dans le domaine. Cela fait longtemps que les piscines ne sont plus chauffées à l’aide de la chaudière à mazout de la maison. Le traitement de l’eau a aussi évolué pour se passer du chlore. Aujourd’hui, les piscines sont isolées, voire chauffées avec des couvertures solaires ou du solaire thermique, et l’eau est traitée avec des procédés écologiques tels que l’hydrolyse ou des UV. Sans parler du fait qu’on ne change plus l’eau chaque année, mais tous les sept à huit ans. Il s’agit également de tenir compte de leurs bienfaits en termes de rafraîchissement lors des périodes de canicule et comme réserve d’eau en cas d’urgence.
C’est une idée très intéressante, qui nécessite cependant une certaine ingénierie paysagère et végétale. L’idée consiste à construire un bassin de natation naturel, intégré au sein d’un étang, et à utiliser une pompe pour faire circuler l’eau dans un parcours. Il s’agit de la filtrer, à travers du sable et les racines de certaines plantes, comme certains roseaux et de l’oxygéner grâce à de petites cascades, ainsi qu’en utilisant certaines plantes. Dans son ensemble, la piscine naturelle constitue tout un agencement paysager et végétal à entreprendre dans son jardin qui, par rapport à une piscine classique, s’étend sur trois fois plus de surface au sol.
En Suisse romande, on observe un intérêt dans ce sens. Avec la condition que l’eau soit la plus limpide possible. D’où la nécessité de considérer ce circuit d’eau à créer à travers un ordonnancement paysager spécifique. Une préoccupation bien moins présente en Suisse alémanique, où l’on tolère plus la présence d’algues lorsque l’on se baigne.
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